Des Abers et des Iles ... Quand la marée s'immisce dans des écrins de verdure (1/2)
Des Abers et des Iles ... Quand la marée s'immisce dans des écrins de verdure
Jeudi 22 octobre 2020
Les photos non signées Pascal J - Yanike Kayak sont de Jean-Jacques Pierre.
La météo n'est pas très favorable à la randonnée kayak actuellement : vent fort et pluie sont souvent au menu !
Les prévisions annoncent cependant une accalmie ce jeudi, ainsi que vendredi 23 octobre.
C'est l'occasion de proposer une randonnée de 2 jours, à la découverte des Abers du Finistère Nord, et de quelques îles sur la côte des Légendes.
Jean-Jacques et Lionel sont partants pour m'accompagner dans cette aventure.
Nous nous retrouvons donc à 9h00 ce jeudi, au port de l'Aber Wrac'h.
L'accès à la cale est réservée aux usagers du port, munis d'un badge.
Nous échangeons avec un responsable de l'UCPA, qui a la gentillesse de nous prêter son badge, afin de rapprocher nos véhicules pour décharger notre matériel. Ceux-ci sont ensuite garés sur le parking libre d'accès.
Après avoir chargé nos kayaks, nous partons à 10h00.
Un moniteur du centre nautique nous souhaite une bonne navigation ... et nous envie !
La marée est haute à 10h07, coefficient 66.
Nous nous engageons dans l'Aber Wrac'h.
Le mot « aber » est d’origine celtique et fait référence à une vallée qui est soumise aux fluctuations des marées. On les appelle souvent « les fjords bretons ». Ce sont des rias qui entaillent la côte.
Le soleil commence à percer les nuages ...
... mais quand ceux-ci prennent le dessus, la tableau des gris est superbe et donne une ambiance particulière.
Nous pénétrons dans cette ancienne vallée fluviale envahie par la mer il y a 7000 ans.
Avec 34 km de profondeur, l’Aber Wrac’h est le plus long aber et le plus septentrional de la côte finistérienne.
Quelques beaux voiliers sont au mouillage ...
... en pénétrant dans une anse sur tribord, nous en apercevons de plus imposants !
Nous voici devant le chantier d'insertion du Moulin de l'Enfer.
Ici, des apprentis venant de toute la France, mais aussi de Belgique et d'Allemagne, participent pendant six mois à un an à l'entretien et à la remise en état de la quinzaine de bateaux de l'association des Amis du Jeudi Dimanche (AJD), créée par Michel Jaouen, le "curé des mers" pour venir en aide aux jeunes en rupture avec la société.
Parmi ceux-ci, les goélettes Bel Espoir -classée au titre des monuments historiques- et Rara Avis, qui ont embarqué des milliers de jeunes sur toutes les mers du globe.
Nous poursuivons notre route sous le soleil, longeant quelques cales jonchées de plates multicolores.
Nous arrivons au port de Paluden.
Un autre voilier attire notre attention : le Ruth.
Ce ketch à voiles fut lancé en 1914 en Suède.
Ruth était le prénom de l'épouse du premier propriétaire du bateau.
Son mât d'artimon provient du Black Pearl, le bateau de Johnny Depp dans le film Pirates des Caraïbes, une plaque en atteste.
Ce voilier, qui appartenait à des anglais et était basé à Penzance, en Cornouaille, a été racheté par Chloé Kronneberg et Laurent Belleudy, anciens marins pour la Brittany Ferries.
Les nouveaux propriétaires veulent en faire un bateau charter, utilisé pour des croisières, en Méditerranée.
Paluden est un port de plaisance très calme, mais aussi un port de marchandises.
La région compte en effet de nombreux négociants en matériaux, importateurs de bois du Nord (Norvège, Suède, Finlande, Russie etc.) et ce sont environ 35 000 m3 de bois qui sont ainsi débarqués chaque année sur les quais.
Nous passons sous un « vieux » pont qui enjambe l'Aber Wrac'h depuis 1933. Initialement prévu pour les chemins de fer, il a remplacé un pont suspendu datant de 1848.
La navigation est très paisible, reposante ...
Le ciel se reflète dans l'eau comme dans un miroir.
Nous passons sous un deuxième pont, celui de la départementale 13.
L'aber serpente entre les champs et les rives boisées...
Une petite cabane de briques nous interroge ... un abri pour pêcheurs ?
Sur la berge gauche, nous apercevons une rustique croix de granit.
L'eau recouvre à cet endroit un amas de gros blocs disloqués entre les deux rives, pont de pierre rudimentaire reliant Plouguerneau à Lannilis.
Cet endroit mystérieux est baptisé depuis bien longtemps le Pont du diable.
Edification romaine ou ouvrage du Xème siècle, les archéologues sont divisés sur l'origine de ce passage.
Une légende y est rattachée.
"Un meunier installé sur une des rives du fleuve se plaignait sans cesse du long détour qu’il lui fallait faire pour livrer sa farine au villageois alentours. Le seul gué accessible sur l’Aber Wrac’h était trop souvent submergé par les marées et chaque fois que le brave homme érigeait une passerelle, son installation était aussitôt emportée par les flux et reflux de la mer. Privé de communications, il se voyait trop souvent obligé de faire chômer son moulin et s’en désespérait quotidiennement.
Un jour où, comme à son habitude, il implorait le ciel de lui venir en aide, c’est curieusement l’enfer, qu’il vit répondre à ses suppliques et lui négocier une solution : « Je peux te construire un solide pont de pierre en une nuit, lui proposa Lucifer, mais en échange me sera remise l’âme de la première créature qui le traversera. Qu’en penses-tu ? ». Le meunier savait bien que la première personne sensée traverser le pont c’était lui-même mais, contraint et forcé, il accepta.
Au matin, ses baluchons de farine sur le dos, il se présenta donc au démon posté à l’entrée de son édifice. « Es-tu prêt pour la traversée ? demanda celui-ci avec malice ». « Un instant », répondit le meunier, « le temps de remettre un peu d’herbe sèche dans mes sabots. »
Et ce disant il déposa ses affaires pour s’agenouiller devant le diable. C’est alors que son chat, qu’il avait pris soin de cacher dans un des sacs, en profita pour s’échapper et rejoindre l’autre rive au grand dam du démon floué.
Moralité :
Mesdames et Messieurs, en affaire, lisez toujours attentivement votre contrat, c’est dans les toutes petites lettres que se nichent les pièges mais aussi leur solution."
Nous traversons cet envoûtant paysage de vasières, de collines boisées et de prés salés peuplés d’oiseaux crieurs…
Le cours d'eau se rétrécit, nous naviguons entre deux haies de bambous et de roseaux.
Nous arrivons au lieu-dit Le Diouris et apercevons les bâtiments d'un moulin.
Nous entendons le bruit de l'eau sur les pierres, nous passons de l'eau calme à l'eau vive !
N'ayant plus assez d'eau pour aller plus loin, nous faisons demi-tour.
Le courant nous porte doucement.
Nous nous laissons glisser au fil de l'eau ...
Au Pont du Diable, nous avons juste assez d'eau pour passer sur l'eau dans nos kayaks, le seuil commence à être visible avec la marée descendante.
Un peu avant le Paluden, nous retrouvons un couple de cygnes, en plein déjeuner ...
Nous retrouvons le port du Paluden avec d'autres couleurs ...
...et bien sûr, le ketch "Ruth"
Nous passons devant la balise de Beg An Toul, qui marque le chenal d'entrée dans le port.
De plus en plus de bateaux au mouillage, nous approchons de la mer ...
Sur notre droite, un étrange dôme blanc à la pointe de Kameuleud...
Nous visons la balise du même nom ...
... et venons accoster au sud-est de Enez Terc'h pour pique-niquer.
Depuis notre départ au port de l'Aber Wrac'h, nous avons parcouru 10,1 milles nautiques.
A cette heure, cette île est accessible à pied, la mer s'est retirée, et continue à descendre.
Enez Terc'h est surnommée l’Ile aux Américains.
Entrés en guerre en avril 1917, les Américains y ont construit, en 1918, une base d’hydravions pour lutter contre les sous-marins allemands.
"En 1917, la France crée les premières bases d'hydravions. Peu après, les Américains, entrés en guerre, prennent l'affaire en main. Il y aura huit centres d'hydravions en France dont six en Bretagne (Île-Tudy, Camaret, Brest, Penzé, Tréguier et Lilia-Plouguerneau). Ils ont pour mission de protéger les convois américains contre les mines et les sous-marins allemands.
Les Américains s'installent à Enez-Terc'h, dès janvier 1918. Ils y construisent un campement de baraques en bois, tôles, fibrociment destiné à accueillir 500 hommes de troupe et 40 officiers.
Le camp est autonome (centrale TSF électrique, réserve d'eau...). Les hydravions (appareils à coque) y sont au nombre de dix-neuf. Une cale a été construite pour acheminer du matériel depuis l'Aber-Wrac'h ; une autre pour tracter les hydravions jusqu'à deux grands hangars. La base sera peu opérationnelle." (Extrait Ouest-France 17/06/2013)
Ci-dessous un extrait de film qui décrit la configuration de l'île à cette époque.
Après le pique-nique, nous faisons le tour de l'île à pied pour y découvrir quelques vestiges ...
Cette balade nous permet aussi de profiter de beaux points de vue sur les alentours ...
Nous reprenons la mer en direction de l'île Cézon.
Nous passons devant l'ancienne cale au sud de Enez Terc'h, sous l'oeil inquiet d'un cormoran ...
Nous débarquons au sud de l'île Cézon.
La partie Est de l'île est un fort créé par Vauban en 1694, renforcé sous Napoléon III, puis investi par l'armée allemande pendant la seconde guerre mondiale.
Elle comprend de nombreux édifices en cours de restauration (tours, caserne, magasin à poudre, guérite, etc ...) et de nombreux blockhaus.
L'île est une propriété privée gérée par l'association Cézon.
Le fort (intra-muros) est ouvert au public 50 jours par an, sur rendez-vous, à l'heure de basse mer.
Le fort étant fermé, nous en faisons le tour en passant par le fossé.
Cette petite balade nous permet d'admirer la beauté des paysages alentours.
Un passage nous permet d'accéder aux blockhaus construits par les allemands.
Perchés sur les tourelles à canons, nous profitons de l'environnement ...
Nous retournons à nos kayaks.
La mer est descendue et a découvert les parcs à huitres.
Nous reprenons la mer, en direction de l'île Wrac'h.
L'île Wrac'h est accessible trois heures avant et trois heures après la marée basse.
Son phare fut automatisé en 1994.
Nous débarquons devant l'île, dans un champ d'algues.
Nous marchons jusqu'au phare, la vue est superbe.
Au nord-est, le phare de l'île Vierge, au sud, les parcs à huitres.
L'île Wrac'h, c'est l'île aux artistes.
En 2002, l’Association Iles et Phares du Pays des Abers, plus connue sous le sigle IPPA, redonne vie au site par la mise en place d’animations et l’accueil d’artistes en résidence.
Depuis lors, chaque été, des expositions y sont organisées, avec des thèmes et des artistes très différents à chaque fois : peinture, gravure, sculptures, littérature ou photographies...
Beaucoup de ces artistes ont joué les "Robinson" en s'installant quelque temps sur l'île pour créer leurs œuvres.
Près du phare, abrité du vent par des murs de pierres, se trouve un potager, qui est entretenu par les membres de l’association IPPA.
Nous ré-embarquons et devons trouver notre route dans ce labyrinthe de roches.
Notre prochaine étape est l'île Vierge.
Les nuages et le soleil nous proposent un tableau qui change en permanence ... magnifique !
Nous débarquons sur la petite plage près de la cale.
Nous avons devant nous un des phares les plus célèbres de Bretagne : le phare de l’île vierge.
Construit entre 1897 et 1902 sur une île 1,5 Km, il mesure 82,5 mètres de haut, ce qui est en fait le plus haut d’Europe et le plus haut en pierre de taille du monde.
Il a une portée de 52 kilomètres (27 miles) et est automatisé depuis 2010.
Il faut gravir ses 397 marches pour accéder à son sommet !
L’intérieur est tapissé de 12 500 carreaux d’opaline. Le phare a été classé au titre des monuments historiques en 2011.
A ses côtés, l’ancien phare, construit entre 1842 et 1845, paraît bien petit avec ses 33 mètres. Après la construction du nouveau phare cette tour carrée a servi de logement pour les gardiens du phare jusqu’à la dernière relève en octobre 2010.
Des travaux de restauration ont démarré en août 2018.
Outre la restauration des bâtiments, des murs d'enclos et des ouvrages maritimes, l'opération a pour but d'aménager le site pour améliorer l'offre touristique, dans le respect de l'environnement et en garantissant une autonomie totale en énergie et en eau.
Le vieux phare est réaménagé en gîte (avec douche, sanitaire et poêle à granulés bois).
Des panneaux photovoltaïques et de petites éoliennes produiront l'électricité.
L'eau de pluie sera récupérée et traitée. Des toilettes sèches seront installées.
D'après les ouvriers que nous avons rencontrés, la fin des travaux serait prévue avant l'été 2021.
Nous reprenons la mer et naviguons vers l'île de Stagadon, sous un ciel changeant, ou soleil et nuages assurent le spectacle.
Nous débarquons sur l'île de Stagadon.
Un couple de goémoniers y a vécu jusqu’en 1967.
Pierre Bergé en était propriétaire. Parce qu’il appréciait l'oeuvre de Michel Jaouen, et que Michel Jaouen était son voisin sur la dune d’en face, il l’a donnée à l’AJD (l'Association des amis de Jeudi-Dimanche).
Le gîte peut loger 25 personnes, toute l’année.
Il y a même une coque renversée arrangée en studio, avec vue directe sur le phare de l’Ile Vierge.
Depuis notre pique-nique sur Enez Terc'h, nous avons parcouru 4,6 milles nautiques, soit 14,7 milles depuis ce matin.
Le soleil va bientôt se coucher.
Nous bivouaquons sur une île des environs.
Lionel a eu la bonne idée d'amener du vin chaud, que nous dégustons à la nuit tombée.
Ainsi se termine cette première journée de notre randonnée dans les Abers.
L'Aber Wrac'h nous a révélé une partie de ses trésors.
Chaque île sur laquelle nous avons débarqué nous a raconté une histoire.
Nous avons ainsi voyagé dans le temps, durant cette journée riche en découvertes.
Nous continuons demain, plus à l'ouest.
A suivre ...