Des Abers et des Iles ... Quand la marée s'immisce dans des écrins de verdure (2/2)
Des Abers et des Iles ... Quand la marée s'immisce dans des écrins de verdure (2/2)
Vendredi 23 octobre 2020
Les photos non signées Pascal J - Yanike Kayak sont de Jean-Jacques Pierre.
Après une bonne nuit de repos, nous prenons le petit-déjeuner à la lueur de la lampe frontale.
Notre programme de la matinée est la découverte de l'Aber Benoit.
Afin de bénéficier du courant de marée, nous devons être au port du Vilh vers 9h30.
Nous avons environ une heure de pagaie pour y arriver.
Nous prenons un peu de retard à cause d'un problème de lentilles (pas facile à gérer dans l'obscurité et le vent, mea culpa) et nous partons vers 8h50.
La mer sera haute à 11h06 et basse à 17h49.
Nous passons au sud des îles de la Croix.
Un document de 1694 atteste du projet de construction d'un fort sur la plus grande de ces îles.
Sur le plan stratégique, le site était idéal, mais l'endroit présentait de sérieux inconvénients : accostage difficile, mer plus dure, ravitaillement et approvisionnement fort malaisés du fait de l'absence de voies charretières, surface exigüe et, l'hiver un climat fort rude entraînant des conditions de vie singulièrement pénibles.
Vauban et ses ingénieurs ont donc préféré l'île Cézon (voir article précédent).
Un amer a été construit sur la plus petite île.
Nous contournons la presqu'île Sainte-Marguerite.
Nous laissons à bâbord la plage de Kloukouri et nous avons assez d'eau pour longer la plage de Sainte-Marguerite
Nous continuons entre l'anse de Brouennou et l'île Garo...
... et nous arrivons à l'embouchure de l'Aber Benoit.
Nous nous engageons dans ces eaux plus calmes, et à l'abri du vent.
Ici, à l'estuaire, l'Aber est large et profond. Cela permet d’offrir une belle zone de mouillage aux résidents et aux navigateurs de passage.
Les rives abritent de belles demeures.
L'Aber Benoît suit une direction NO-SE qui correspond à d'anciennes failles datant de l'ère tertiaire.
Le bassin de l'Aber Benoît est composé de deux parties : l'estuaire long de 12 km et d'un réseau de cours d'eau qui se jette dans cet estuaire.
La superficie totale du bassin de l'Aber Benoît est de 140 km².
Un ancien canot de la SNSM est au mouillage, c'est le Yvon Salaün, basé à Portsall.
Construit en 1955 aux Chantiers navals de Normandie à Fécamp, et en activité jusqu'en 1998, il a failli finir sur un rond-point, mais il a été restauré par l'Association pour la conservation des anciens canots de sauvetage de Morlaix.
Il a été classé monument historique depuis mars 2016.
A tribord, le pôle nautique du Stellac'h.
Plus loin, la restauration d'un bateau de pêche ...
Ici, le canoé est prêt à être mis à l'eau ...
Nous arrivons devant le chantier naval des Abers.
Sur tribord, nous admirons encore quelques belles demeures de caractère ...
... puis l'aber serpente entre champs verdoyants et paysages boisés.
Nous nous engageons à droite dans le Garo.
Une première anse sur notre droite se pare des couleurs de l'automne.
Nous l'explorons puis revenons dans le Garo, que nous découvrons jusqu'au moulin du Quinou.
Pas moins de 159 moulins ont fonctionné sur l’Aber Benoît.
Impressionnant n’est-ce pas ?
Tous ces moulins se sont tus, les uns après les autres. Il subsiste toutefois quelques traces de l’intense activité meunière.
Nous faisons demi-tour et revenons dans l'Aber Benoît.
Le cours de l'aber, encore assez large ici, est dominé, sur les deux rives, par des futaies et des bouquets de verdure qui forment un paysage agréable et charmeur.
Nous arrivons à l'ancien gué de Roc'h an Diaoul, et son kiosque.
A la pointe de Penhoat, sur la commune de Lannilis, une bâtisse au caractère exotique évoque l'époque coloniale.
Voici la cale de Tréglonou.
Nous passons sous le pont de la départementale 28.
Ce pont a remplacé un pont en bois de 1851, de plus de 50 mètres en prolongement de digues de terre s'amorçant sur chaque rive.
En béton armé, il a été inauguré en 1935 et passe à l'endroit qui était, dans des temps très lointains, considéré comme un havre et s'appelait port de Bénouhic.
Ce Bénouhic était un chef breton du Bas-Léon, père du fameux Lancelot du Lac, si célèbre dans les chroniques des "Chevaliers de la Table Ronde".
Nous sommes dans un delta aux multiples îlots couverts de verdure et cernés de bras d'eau, paradis idéal pour tadornes (oies et canards) et cygnes sauvages.
L'endroit est beau, sauvage et à la fois paisible.
Une croix sur la rive rappelle que nous sommes en terre chrétienne.
Nous revenons sur la cale de Tréglonou pour faire une pause.
A gauche de la cale, un oeil de Pierre Chanteau.
Cet artiste plasticien a posé ses yeux de mosaïque, faits de billes de verres, d’éclats de faïences polis par la mer, dans 116 communes du Finistère.
« Poser un œil, c’est poser une question ultime et multiple, celle de la place de la poésie, de l’attention, de l’imagination, de l’audace et de la solidarité dans un monde à réenchanter. »
Ces yeux rappellent les immenses yeux peints à la proue des navires, dans l'Antiquité, pour conjurer le mauvais sort et protéger les équipages.
Autour d'un thé chaud et de gâteaux, nous apprécions le calme de l'endroit.
Nous ré-embarquons pour revenir vers la mer.
La navigation nous offre d'autres points de vue ...
Le vent d'ouest a forci, nous l'avons de face sur une partie du trajet.
Les oiseaux marins se protègent sur les rives.
Nous virons à droite dans l'estuaire et sommes un peu plus protégés du vent.
Une vieille épave de chalutier sur la rive droite, côté Landéda ...
A Prat-ar-Coum, sur la rive droite, un manoir normand, avec sa tour et ses arbres majestueux, détone parmi les toits d'ardoise.
C'était la propriété de Jane Birkin.
Elle y a posé ses malles dans les années 1990.
C'est à cet endroit que son père, ex-commandant de la Royal Navy, s’est illustré pendant la Seconde Guerre mondiale. A l’époque, David Birkin se charge de rapatrier vers la Grande- Bretagne les aviateurs anglais récupérés par les réseaux résistants français.
Cette bâtisse au charme biscornu fut érigée fin XIXe par Édouard Delamare-Deboutteville, l'inventeur du moteur à explosion, celui qui a introduit l'ostréiculture dans les abers.
À marée basse, Jane n'a qu'à longer le mur pour gagner les viviers de Prat-ar-Coum.
Les huîtres des Madec figurent à la carte des tables étoilées.
Nous laissons le "Het Boot" au mouillage ...
... et les bouées de mouillages étalées sur la rive droite nous rappellent les oiseaux marins se protégeant du vent que nous avons aperçus il y a quelques minutes ...
Nous débarquons sur la plage de Beniguet, à l'Est de la pointe de Kervigorn.
Surprise : nos pieds s'enfoncent profondément dans le sable blanc.
Nous faisons une pause pour pique-niquer, à l'abri du vent d'ouest.
Nous repartons en direction de l'île Garo.
Cette île a été habitée jusqu'à la fin du XIXe siècle puis par intermittence jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.
On y cultiva des champs et on y éleva des chevaux jusqu'au milieu du XXe siècle. Un incendie de la ferme obligea les propriétaires à rejoindre leur commune de Saint-Pabu.
Dans les années 70, l'île était une réserve de lapins, entretenue par une société de chasse.
Un grand terrain était encore cultivé et servait surtout à nourrir les lapins, présents par milliers.
Nous laissons à tribord les rochers de Men Renéat et mettons le cap sur l'île Guénioc.
Le vent forcit 4 à 5 beaufort, la navigation est plus engagée.
Après avoir passé devant un étrange rocher, nous accostons à l'Est de l'île, à l'abri du vent.
Nous débarquons dans un champ d'algues et de rochers.
Nous avons une belle vue sur les alentours, à l'Est, le phare de l'île Vierge.
Classée au titre des Monuments Historiques depuis 1964, l’île Guénioc présente un fort intérêt en raison des nombreux vestiges archéologiques conservés de manière remarquable.
La présence de cairns contenant des dolmens, dont la construction est estimée à 4 600 ans avant J.-C., fait de ce lieu l’un des plus vieux monuments d’Europe.
Le caractère insulaire du site a permis la préservation de ces vestiges archéologiques allant de la fin du Paléolithique jusqu’au Moyen Âge, soit plus de 10 000 ans.
Le lieu est riche de quatre cairns principaux, contenant une quinzaine de dolmens.
A la fin de la période glaciaire jusqu’à la période romaine l’île était rattachée au continent.
Au Néolithique, les populations venaient y déposer leur morts, tandis qu’à la fin de l’Âge du Fer (IIeme-Ier siècle av. J.-C.) les gaulois y ont construit un lieu de vie et d’artisanat avec les vestiges de leurs maisons entouré d’un enclos en pierre sèche et d’un talus de défense.
Alors que nous revenons à nos kayaks, un visiteur inattendu vient nous saluer ...
Nous reprenons la mer en direction, de l'Aber Wrac'h.
Nous avons le vent dans le dos (rafales à 5 beaufort)
La mer étant basse, les rochers protègent le plan d'eau.
Nous profitons de quelques surfs (dommage que je n'ai pas ma voile !) ...
... et nous nous frayons un chemin dans ce dédale de rochers ...
Une pluie fine s'invite au voyage.
La visibilité diminue.
Nous arrivons dans le chenal de l'Aber Wrac'h et laissons à bâbord la balise de Breac'h Ver.
Devant nous, l'amer de Fort Cézon ...
L'île Wrac'h est à peine visible, quel contraste avec la journée d'hier !
Nous arrivons devant le port de l'Aber Wrac'h...
...et nous débarquons sur la cale vers 16h20.
Depuis ce matin, nous avons parcouru 17,3 milles nautiques.
La pluie cesse, nous rangeons notre matériel.
Nous nous retrouvons dans un bar du port, autour d'une bière.
Nous avons vécu deux superbes journées de belles navigations en kayak, dans de magnifiques paysages.
Les deux Abers visités nous ont livré quelques secrets, et raconté quelques histoires et légendes.
Nous avons voyagé dans le temps, du Néolithique aux temps modernes.
J'avais déjà navigué dans le secteur, mais jamais je n'avais pris le temps de débarquer pour découvrir des endroits remarquables.
Le kayak apporte cette facilité.
Prendre ce temps, c'est s'enrichir.
Merci à Lionel et Jean-Jacques, mes deux compagnons, pour ces bons moments, inoubliables ...
Vive le kayak !